De l’engagement citoyen
Témoignage d’une professionnelle de l’information
Version avant révision de mon article publié dans Argus. La revue québécoise des professionnels de l’information, vol. 42, no 2, automne 2013, pp. 38-39.
Illustration de la couverture par Michel Falardeau |
L’engagement citoyen des professionnels de l’information peut être considéré comme une démarche en faveur d’une société libre. Ma conception d’une telle société s’appuie sur un ensemble de croyances et de valeurs telles que l’autonomie des personnes, la démocratie, le partage et la pérennité. Je mets aussi l’accent sur les valeurs de justice et de respect des autres qui me semblent aussi essentielles à l’établissement de cette confiance mutuelle, préalable à toute relation productive et féconde.
L’engagement citoyen vise plus à servir le bien-être et la sécurité de la société que d’exercer notre pratique professionnelle tout simplement. L’engagement citoyen constitue en quelque sorte une étape avancée et peut-être ultime de notre parcours en tant que professionnel de l’information. Il en traduit la maturité et l’épanouissement.
Constamment, tout au long de nos vies, nous ajustons nos temps sociaux pour concilier nos activités personnelles et familiales, notre travail, le temps passé avec nos amis, le bénévolat et autres. Arrivés à cette étape de notre cheminement professionnel et personnel, nous le faisons en fonction de nos valeurs d’alors. Notre engagement social est donc une contrainte additionnelle, une contrainte qui s’ajoute à celles que nous avons connues. Heureusement, à mesure qu’elle avance, la vie nous dégage d’autres contraintes passées. C’est là un « stress » qui devient gérable, mais qui implique des choix.
Choisir son combat et miser sur ses forces
C’est certainement ma rencontre avec le texte « Quand dire, c’est faire » d’Austin [1] qui m’a fait prendre conscience, dans la jeune trentaine, de la distance entre mes paroles et mes actions. Réduire cette distance est devenu depuis mon leitmotiv.
C’est lorsqu’arrive une cohérence entre mes croyances, mes valeurs et mes actions que cette distance se réduit. Je ressens cette joie calme de l’accomplissement et de la réussite. Ainsi, le désir d’être près de cette quiétude a guidé mes choix dans ma vie personnelle, dans ma pratique et dans mes recherches. Rendue à cette étape de ma vie professionnelle, je cherche toujours à poursuivre la même quête en ajoutant cet objectif de cohérence à mes engagements sociaux. Il en va de même pour d’autres intérêts.
Je suis intéressée par les utilisateurs d’information, leurs besoins et leur comportement, plus que par l’information et ses technologies en elles-mêmes. Cet intérêt s’est manifesté progressivement à travers entre autres le soutien technique, l’accompagnement, la rédaction de documentation et les interventions dans des rencontres. J’ai apprivoisé la référence en bibliothèque, puis maîtrisé la veille et, enfin, je me suis aventurée en curation informationnelle. Tout cela fait maintenant partie de mon engagement social. J’y verse donc mes habiletés acquises.
Je suis aussi consciente de la limitation de mes engagements sociaux. L’expérience m’a procuré une certaine sagesse. En misant sur mes forces et en orientant mes actions vers un but, j’admets aussi que ces actions pourraient ne pas aboutir. S’engager dans la société et dans une organisation, c’est aussi prendre des risques successifs, sans appel et imprévisibles.
Par conséquent, j’ai développé une résilience cela en abandonnant des positions, en renonçant à des activités ou en quittant des personnes, des groupes ou des organisations en raison d’une incohérence ressentie et irréconciliable.
Sortir de sa zone de confort
Plus expérimentée, j’ai choisi de sortir raisonnablement d’une certaine zone de confort qui nous est tous familière. C’est traditionnellement celle des bibliothèques et des centres de documentation. J’ai choisi d’être une professionnelle de l’information imbriquée au sein d’unité organisationnelle en administration publique.
Lorsque je m’apprête à agir, j’évalue la justesse de l’action par rapport aux quatre valeurs qui définissent ma conception de liberté : l’autonomie des personnes, la démocratie, le partage et la pérennité. Mon choix est guidé par la cohérence de ces valeurs avec l’action.
À force de décisions cohérentes, le transfert des connaissances est devenu l’objectif vers lequel se cristallisent mes actions. En même temps et au hasard des rencontres [2], mon engagement s’est aussi matérialisé dans « Le Libre ». Cette cohérence dans l’action est devenue une façon d’être.
Réunir les bases imbriquées dans un écosystème socionumérique
En s’engageant civiquement, les professionnels de l’information sont aux premières loges de l’innovation. Ils sont aussi les guides de ceux qui les suivront, mais surtout ils contribuent à la transformation des organisations en organisations transparentes et ouvertes.
La transparence et l’ouverture façonnent l’espace des échanges et des interactions. Elles favorisent le transfert des connaissances qui se fait principalement par l’exemple, l’observation et la divulgation des preuves et des résultats mis en contexte.
Mon engagement dans l’administration publique et dans la communauté repose sur différents plans : la sensibilisation, la conversation, la liaison, l’accélération des initiatives et l’innovation. Une de mes motivations est de susciter et de maintenir le dialogue entre les bases des administrations publiques et celles de la communauté.
De cette manière, le mouvement des données ouvertes et liées peut être un truchement par lequel se réalise le transfert des connaissances des administrations publiques vers les citoyens et les communautés. L’échange continuel des réutilisations de connaissances, des critiques et des controverses ouvertes dans la communauté encourage l’innovation et développe le bien commun.
Dans cet écosystème socionumérique, chaque acteur, public ou civique, est capable de discerner ce qui peut l’intéresser dans les données et les résultats des autres. Il ajuste ses activités aux résultats obtenus des autres. Il choisira la meilleure solution et ainsi contribuera de façon optimale à la construction d’un autre résultat qui pourra à son tour être réutilisé. Cela implique aussi que chaque action puisse être évaluée, jugée et portée à l’attention des autres. Cet écosystème laisse tous les acteurs autonomes, facilite la communication et permet la mutualisation des moyens.
Engagée dans la société et imbriquée dans l’organisation
Mon témoignage comme professionnelle de l’information en maîtrise de mon métier, explique une quête de valeurs qui s’exprime à travers mon engament envers le transfert des connaissances d’abord imbriqué dans des équipes multidisciplinaires en administration publique, puis dans le mouvement des données ouvertes et liées et dans le logiciel libre.
Références et lectures suggérées
[1] Austin, J. L. (1970). Quand dire, c’est faire. Paris: Seuil.
[2] Granovetter, M. S. (1973). The Strenght of Weak Ties. American Journal of Sociology, 78(6), 1360‑1380.
Polanyi, Michael. (1951, 1980). La Logique de la liberté. Paris: Presses universitaires de France.
St-Arnaud, Y. (1996). S’actualiser par des choix éclairés et une action efficace. Montréal: Gaétan Morin.