Non au menottage numérique, oui à la légalisation du partage

En ce mardi 6 mai 2014, Journée internationale contre les DRM, FACIL se joint à de nombreux citoyens et organismes à travers le monde pour protester contre les technologies de menottage numérique imposées au public par les gros joueurs des industries culturelles et technologiques.

Menottage numérique ?

Selon ceux qui en font la promotion, la «gestion numérique des droits» (anglais: Digital Rights Management, ou DRM) ne sert qu'à empêcher la copie non autorisée sur Internet. Si ce n'était que ça, peut-être n'y aurait-il rien à redire, mais ce n'est malheureusement pas le cas.

La «gestion numérique des droits» est une expression mensongère qui désigne en fait la gestion des restrictions numériques, que les plus grands détenteurs de droits d'auteur imposent au public, avec la complicité du secteur de l'informatique et celui de la distribution en ligne. La gestion de ces restrictions se fait à l'aide de dispositifs anticopies, de mécanismes d'activation de licences, de contrôle des accès, de formats de fichiers incompatibles, de tatouage, etc., qui constituent rien de moins que le menottage numérique des utilisateurs d'ordinateurs, qui sont tous considérés par défaut comme des délinquants prêts à voler les ayants droits. Installés sur la plupart de nos appareils numériques, les restrictions dites DRM ne sont ni plus ni moins que des antifonctionnalités dont le but est de contrôler, surveiller et étudier l'utilisation que nous faisons des médias, au mépris de notre droit constitutionnel à la vie privée.

Le mépris d'un droit constitutionnel justifierait amplement le combat contre les DRM, mais il y a plus. Dans la zone contrôlée par les DRM, des usages légitimes des copies d'une oeuvre obtenues légalement deviennent extrêmement compliqués voire impossibles pour la plupart des utilisateurs. C'est le cas par exemple du transfert de sa médiathèque numérique privée depuis son ancien vers son nouvel appareil. Même chose si l'on veut se faire une copie de sauvegarde, convertir ses médias dans d'autres formats pour passer à une autre application, etc. Les utilisateurs se retrouvent souvent dans un cul-de-sac, abandonnent et repayent une deuxième fois ce qu'ils ont déjà payé...

Mais le comble est sans doute qu'un geste aussi innofensif que celui de prêter une copie d'un livre imprimé ou d'un disque de musique à un ami, un parent ou un voisin, est maintenant assimilé à du «piratage» dès qu'il implique l'usage du réseau Internet. On ne vend plus de copies, mais des droits restreints de lire, d'écouter et de visionner des oeuvres.

Il saute aux yeux que les moyens employés par l'industrie pour soi-disant «empêcher la copie non autorisée» sont tout sauf proportionnés par rapport au but visé.

L'avenir de notre domaine public

Il saute également aux yeux d'un grand nombre de personnes que c'est le financement de la production culturelle par la vente de copies ou de droits d'utilisation limités qui doit être remis en question face aux réseaux numériques et non le désir bien naturel des humains de partager avec leurs semblables.

En contournant le pouvoir de multiplication des copies des ordinateurs mis en réseau, nous participons à la création artificielle d'une rareté nuisible à notre intelligence collective. Voilà qui est curieusement contraire à l'esprit du droit d'auteur. En effet, dans la société qui a vu apparaître ce droit, on concevait que la reproduction de masse puisse servir le bien commun. Théoriquement, plus un livre se vendait, plus on en imprimait d'exemplaires, plus il était abordable pour le public des lecteurs. Plus les auteurs étaient lus, mieux ils étaient rémunérés. Plus il y avait d'auteurs bien rémunérés et libres de se consacrer à l'écriture, plus le domaine public s'enrichissait de nouvelles oeuvres. Dans la société numérique, la société des copies parfaites et abondantes, ce système ne fonctionne plus. L'interdiction systématique de reproduire une oeuvre a pour conséquence évidente de freiner sa diffusion dans le public. Sous le régime des restrictions DRM, c'est pire : le partage est un comportement réprimé et le domaine public un ennemi à combattre.

Pourtant, dans un monde où la multiplication des copies ne serait pas par défaut illégale et entravée par des menottes numériques, dans un monde où l'enrichissement du domaine public serait toujours au programme, il existerait encore toute une panoplie de moyens de financer la production de nouvelles oeuvres : taxation de la bande passante, ventes de places en salle, campagnes de sociofinancement, subventions publiques, prix de concours plus généreux, vente de produits dérivés, etc.

Depuis très longtemps, nous savons que la logique marchande confine nécessairement la culture québécoise à la marginalité, même sur notre territoire. On se demande bien pourquoi on voudrait s'accrocher aux modèles économiques qui reposent sur cette logique de l'ère pré-numérique, quand il y a de bonnes raisons de croire qu'avec de l'imagination et du travail il serait possible tout à la fois de mieux financer la culture ET de ne pas retirer au public les moyens d'y accéder librement via Internet, ne serait-ce que pour un usage non-commercial.

Comme tous les informaticiens compétents vous le diront: il n'y a pas de meilleur moyen de saturer le réseau Internet de culture québécoise que de laisser les gens qui l'aiment la partager sans restriction.

N'est-il pas temps de débattre sérieusement de l'opportunité de légaliser le partage ?

Quoiqu'il en soit, en attendant la grande réforme du droit d'auteur dont nous avons besoin, plusieurs choses peuvent être faites immédiatement par le public et les auteurs pour nous sortir de la zone contrôlée par les DRM :

- Préférer les libertés protégées par les licences libres (Creative Commons) pour les oeuvres
- Préférer les libertés protégées par les formats libres pour la publication numérique
- Préférer les libertés protégées par les logiciels libres pour vos appareils numériques

Nous invitons également le public à consulter le «Dossier DRM» que nous avons monté dans notre wiki.

Le CA de FACIL: Fabián Rodríguez, président; Antoine Beaupré, vice-président; Éric Beaurivage, secrétaire; Martin Chénier, trésorier; Luis Molinié, Diane Mercier, Omar Bickell, Claude Coulombe, Mathieu Gauthier-Pilote, Frédéric Côté et Immanuel Guilea, administrateurs.


Ce texte du CA de FACIL est paru dans Le Devoir du mardi 6 mai 2014.

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