Données ouvertes : comment développer et protéger ces nouveaux communs ?

À l’occasion de la Journée internationale des données ouvertes célébrée ce samedi 3 mars 2018 (notamment à Montréal), FACiL souhaite aborder une question importante en débat depuis des années et dont il est rarement fait écho dans nos médias traditionnels : les stratégies à adopter pour développer et protéger nos communs (numériques).

Commençons par rappeler que les données ouvertes sont ces données qui n’ont aucun caractère personnel (qui ne pourraient pas servir à identifier directement ou indirectement une personne physique) et qu’un auteur individuel ou collectif rassemble et met à disposition du public dans un format numérique ouvert aux conditions d’une licence de droits d’auteur qui autorise une libre utilisation et réutilisation par le public.

Quelques-unes des licences les plus courantes pour les jeux de données, telles la Creative Commons BY ou la Open Data Commons BY, n’exigent comme seules conditions à la redistribution le fait de créditer adéquatement l’auteur, de fournir un lien vers la licence et de ne pas imposer de restrictions supplémentaires. Certaines comme la CC0 ou la PDDL vont plus loin : l’auteur dédie son œuvre au domaine public en renonçant à exploiter ses droits patrimoniaux.

La ressource partagée que constitue un jeu de données ouvertes publié sous de telles licences peut être assimilée à une forme de commun numérique. Ce n’est pas anodin de le souligner : le mouvement international des Creative Commons et Open Data Commons cherche explicitement une troisième voie, hors de la propriété privée d’un côté et de la propriété publique de l’autre, pour inventer une nouvelle économie des communs numériques. Cette voie inédite que l’on recherche a déjà donné lieu à beaucoup d’inventivité et on peut déjà répertorier un grand nombre d’initiatives inspirantes qui sont également des succès populaires. Cela dit, mêmes les initiatives les plus inspirantes sont confrontées à des défis importants, notamment lorsqu’on pense à la distribution de la richesse tirée de nos ressources partagées…

Peut-on vivre de la contribution aux communs ?

Sous des licences comme celles que nous venons d’évoquer, on conçoit aisément que la circulation des données soit considérablement accrue et qu’elles soient utiles à un plus grand nombre de personnes. Mais qu’en est-il de la richesse produite par cette circulation ? Où s’en va-t-elle ? La réalité est que les communs de données disponibles sous ces licences sont plutôt mal protégés contre différentes formes de réappropriation privée. Quand on regarde les modèles d’affaires des GAFAM ou même de bon nombre de nos startups innovantes, il ne faut pas se surprendre si une large part de la richesse tirée des données ouvertes (et autres) est captée en dehors de l’économie collaborative des communs et pour le profit du plus petit nombre. Sans renoncer à garantir la libre réutilisation des données d’intérêt public, que peut-il être fait pour que les personnes qui contribuent à nos communs de données soient plus nombreuses à vivre dignement de leurs contributions ? Comment faire en sorte que la richesse soit redistribuée de manière équitable, sans faire d’exclus ?

On peut heureusement déjà citer des pistes de solutions possibles, imparfaites et souvent très expérimentales, il faut bien le concéder : les licences à réciprocité (OpenStreetMap, OpenCorporates, OpenFoodFacts), les monnaies alternatives (Faircoin), le financement participatif, le revenu universel, les politiques publiques favorables aux communs.

Un vaste chantier de réflexion et d’action

Face à la complexité des enjeux et devant l’étonnant foisonnement des expériences ayant cours partout sur la planète, on peut y perdre son latin et hésiter à s’engager clairement sur un programme politique. C’est pourtant là où il faut en arriver inévitablement. Il faudra faire montre de beaucoup d’inventivité politique et de solidarité pour faire émerger cette économie des communs dans laquelle nous serons individuellement et collectivement maîtres de nos données ouvertes (et autres communs), afin de toujours rester maîtres de nos vies.

Voilà un vaste chantier de réflexion et d’action auquel le Québec doit prendre part comme partout ailleurs dans le monde. Pour qu’il sorte définitivement de la marge et qu’il soit investi par nos politiques, peut-être faudrait-il qu’une âme charitable expédie par la poste une copie du Dictionnaire des biens communs (PUF, 2017) à Philippe Couillard, François Legault, Jean-François Lisée, Véronique Hivon, Manon Massé, Gabriel Nadeau-Dubois et compagnie ?

Mathieu Gauthier-Pilote
Président de FACiL
 

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